Une suite d’articles par Maxime de Blasi
Article précédentLa Terre vue de l’espèce : La Terre est bleue (et l’Homme la presse) comme une orange
La multiplication des humains pose aussi prosaïquement la question de la répartition de l’espace entre l’humanité et les autres espèces vivantes car l’espace laissé aux espèces sauvages détermine pour beaucoup leur survie. Romain Gary, dans son roman « Les racines du ciel », Prix Goncourt en 1956 -considéré comme l’une des premières prises de conscience écologiques- choisît le vecteur des éléphants d’Afrique pour exprimer que l’Homme cesserait d’être un homme s’il ne se préoccupait pas de laisser la liberté d’aller et de venir à ces grands mammifères, quand bien même ils saccagent les cultures. Il prôna la défense de ce qu’il dénomma la « marge humaine », « seule cause digne d’une civilisation, quels que soient les systèmes, les doctrines ou les idéologies dont elle se réclame ».
Aujourd’hui, on ne peut qu’extrapoler la préoccupation de Romain Gary à la quasi-totalité des grands mammifères sauvages du monde : hippopotames, rhinocéros, bonobos, pandas, etc., mis en danger à mesure que leurs habitats naturels sont accaparés par une humanité en quête de surfaces agricoles. Et que dire de cet outrage quand on pense que l’ADN des primates par exemple diffère du notre de seulement quelques petits pourcents ? Si l’Homme aurait déjà fait disparaître au moins 680 espèces de vertébrés depuis 500 ans, cette menace s’étend maintenant au petit et même à l’infiniment petit, qu’on pense aux vers de terre, abeilles, insectes, plancton, qui sont à la base de la chaîne alimentaire, avec un impact d’autant plus désastreux en retour pour l’alimentation humaine. Sur les 8 millions d’espèces estimées sur la planète (dont 5,5 millions d’espèces d’insectes) un demi-million à un million d’espèces sont menacées d’extinction selon l’ONU et se profile une nouvelle extinction de masse à venir.
Extinction qui, nouveauté historique, menace aussi bien les grands mammifères que les insectes, d’autant plus qu’au-delà du nombre croissant d’humains leur emprise est démultipliée par leur durée de vie plus longue et par la généralisation des moyens d’éradication du vivant « non utile », comme les pesticides. La croissance économique, la chute de la mortalité infantile et l’augmentation de l’espérance de vie due aux vaccins, aux soins et à une meilleure alimentation sont assurément de bonnes nouvelles mais elles se combinent pour augmenter encore la pression sur les ressources : terres rares, énergies fossiles, accaparation de la ressource végétale, déforestation, partage de l’eau, etc…. Selon Jared Diamond, plus de 90 % de toute la biomasse produite annuellement sur la Terre est d’ores et déjà exploitée par l’Homme, et il ne reste plus de marges de manœuvre alors que la population et les besoins ne cessent de croître.
Paul Eluard écrivit en 1929 dans son recueil de poèmes surréalistes « L’amour, la poésie » cette phrase célèbre : « La terre est bleue comme une orange ». 90 ans plus tard force est de constater que le surréalisme est devenu bien réel et qu’on la presse comme une orange. L’Homme vit à crédit sur la planète et ne donne plus de crédit à la vie (autre que la sienne). En témoigne la précocité accrue du « Jour du dépassement » qui symbolise la consommation de toutes les ressources renouvelables produites en une année, qui se produira dès le 1er août cette année, contre le 1er novembre il y a seulement 30 ans, marquant la consommation de 17O % des ressources de la Terre au 31 décembre 2019.
La Terre vue de l’espace : l’extra-humain
Prenons un peu de champ et regardons notre planète vue de l’espace, suivant en cela le principe copernicien que l’Homme et ses lois ne sont pas le centre de l’univers. Les réflexions sur notre environnement doivent se concevoir dans toutes leurs dimensions, dont la spatiale n’est pas la moindre. Les premières prises de vues de la planète il y a cinquante ans avaient contribué à montrer la singularité et la fragilité de cet astre isolé dans un univers de vide. L’astronome Carl Sagan, dans « Pale Blue Dot : A Vision of the Human Future in Space » avait écrit à ce sujet qu’« Il n’y a peut-être pas de meilleure démonstration de la folie des idées humaines que cette lointaine image de notre monde minuscule. Pour moi, cela souligne notre responsabilité de cohabiter plus fraternellement les uns avec les autres, et de préserver et chérir le point bleu pâle, la seule maison que nous ayons jamais connue ».
Nous fêtons les cinquante ans du premier pas sur la Lune en juillet 2019 et il serait intéressant de creuser la concomitance qu’on peut observer entre la détente politique d’alors et l’exploration spatiale (1), que j’analyse comme le fait que la conquête spatiale contribue à nous sortir de notre condition humaine, à nous élever, à faire prendre du champ par rapport aux contingences et aux rivalités terrestres.
Depuis, près de 4 000 exoplanètes ont été découvertes, dont un certain nombre pourraient être habitables. A l’image de notre rapport aux espèces animales ce sont autant de formes de vie alternatives potentielles qui pourraient nous apporter un jour une expérience de l’altérité et du rapport à l’autre et, en creux, à ce qui nous définit et nous unit en tant qu’espèce « Homme ». Un extra-humain pour se sentir terrestres.
A cet égard le Paradoxe de Fermi énoncé par le physicien italien -qui s’étonnait que ces « extra-humains » ne nous aient pas encore contactés alors que notre planète est plus jeune que beaucoup d’autres- pourrait avoir une solution terrible selon l’article de l’astrophysicien John Richard Gott paru dans Nature, qui avait calculé la durée de vie de l’humanité2 : si aucune vie extraterrestre ne nous a contactés alors qu’on a découvert des milliers d’exoplanètes ce pourrait être parce que toute civilisation est condamnée à s’éteindre dans un milieu fermé favorable après avoir proliféré excessivement –précisément en raison de la présence d’un habitat favorable à son développement- sans avoir le temps par exemple d’acquérir la technologie des voyages interspaciaux pour se transplanter ailleurs, ou encore la communication interstellaire.
A l’image de la vitesse de la lumière ce serait une autre constante de l’univers : si une population a des conditions favorables pour croître elle embolise nécessairement son environnement jusqu’à le détruire. Sorte de désordre inéluctable, de principe entropique de l’univers, en l’occurrence anthropique… ce qui nous ramène à la situation actuelle sur Terre car nous avons encore, mais pour peu de temps, les moyens d’inverser la donne : mais sera-ce un soft landing ou un brutal atterrissage ?
Une Terre en burn out : le trilemme des préservations de l’environnement, de la population et du bien-être matériel
Aujourd’hui nous consommons 1,7 fois les ressources renouvelables de notre planète chaque année et en première approche la population devrait décroître d’autant. Mais si on prend en compte les besoins immenses de plus de la moitié de la population mondiale et son aspiration légitime à l’accès aux ressources il a été calculé que si le train de vie occidental se généralise la consommation mondiale doublera au moins et il faudra consommer chaque année l’équivalent de plus de trois planètes. Seule une Terre abritant trois fois moins d’humains serait alors durablement préservée. C’est dire combien une Terre à 10 milliards d’habitants et au mode de vie occidental n’aurait pas une durée de vie supérieure à quelques années puisque les ressources de quatre planètes au moins seraient nécessaires. Via une simple règle de trois, c’est donc un niveau quatre fois inférieur de population mondiale, soit entre deux et trois milliards d’habitants, qui est soutenable et durable.
Au passage on voit que se dessine un « triangle des incompatibilités » (ou trilemme) entre la préservation durable de l’environnement, celle du bien-être matériel et celle de la population mondiale. Il n’est pas possible d’atteindre ces trois items simultanément. Deux peuvent être atteints concomitamment mais au détriment du troisième. Dit plus explicitement, la préservation durable de la Terre et de ses espèces étant le but pour perpétuer l’espèce humaine, elle ne pourra se faire qu’en diminuant la population ou en réduisant le niveau de consommation. On parle là d’une division par quatre alors compte tenu des extrêmes réticences des occidentaux à rogner leur niveau de bien-être matériel en vertu d’un objectif « vert » (comme rappelé dans l’introduction avec le mouvement des Gilets Jaunes), on peut imaginer qu’une telle diminution drastique du niveau de vie y serait insupportable puisque –pour donner une idée- c’est peu ou prou un retour au niveau de vie de l’Allemagne de l’Est des années 80 qui serait soutenable, c’est-à-dire une voiture tous les 20 ans au lieu de tous les 5 ans, ou une paire de chaussures par an contre 6 actuellement, etc. : tout le monde est-il prêt à assumer ces conséquences pratico-pratiques, raillées avec humour dans le film « Goodbye Lénine » ? C’est pourquoi la seule piste praticable est la maîtrise de la population mondiale dans un premier temps, puis sa diminution à moins de trois milliards d’habitants.
Une simple règle de trois pour déterminer la cible soutenable de la population mondiale
La règle de trois utilisée pour déterminer le niveau de population permettant un développement durable et respectueux de l’environnement peut paraître sommaire et triviale mais elle a l’avantage de fixer les idées sans noyer le poisson dans des calculs sans fin, comme ceux réalisés pour savoir de combien de centimètres vont s’élever les mers (mais au sommet d’une vague ou dans le creux de la vague ?) ou la température du globe (mais dans quelles régions ? en quelles saisons ? et quid des variations naturelles et des cycles solaires ?), calculs probabilistes contestables, et contestés tant les hypothèses sur lesquels ils se basent sont instables et mouvantes et constituent autant de partis pris avec un nombre de variables mobilisées important. Si bien qu’à leur lecture on se trouve autant interloqués que Bouvard et Pécuchet face à la glose assurée des savants positivistes du 19ème siècle (3) ! D’où la force qu’elle tire de sa simplicité, préalable indispensable pour permettre une action politique comprise et assumée par les citoyens.
La règle de trois pour déterminer l’optimum de population ne tient certes pas compte des gains de productivité à venir mais c’est l’évidence que sur une Terre en « burn out » -et où littéralement « les calottes sont cuites »2- car pressurée depuis cinquante ans de bien plus que ce qu’elle peut fournir annuellement3, ils ne peuvent que décroître et il est illusoire d’y placer toutes les espérances.
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(1) Au départ compétition dans le cadre de la guerre froide (l’innovation spatiale était vue comme un outil de puissance militaire et une marque de suprématie dans la course que se livraient les Etats-Unis et l’URSS pour démontrer la supériorité de leur modèle), elle est devenue collaboration et même symbole de la Détente, qui a notamment abouti à la mission conjointe Apollo-Soyouz en 1975 ainsi qu’au traité sur l’espace extra-atmosphérique de 1967 et aux accords d’Helsinki en 1975, relatifs à la sécurité, la coopération internationale et au respect des droits de l’Homme.
(2) https://www.nature.com/articles/363315a0