Une suite d’articles par Maxime De Blasi
Maxime de Blasi est diplômé de l’ENA, essayiste et auteur-compositeur interprète.
Aujourd’hui la préoccupation écologique rencontre un écho croissant dans l’opinion et les médias et c’est logiquement que son emprise dans l’espace politique s’affirme. Le mouvement des Gilets Jaunes d’ailleurs peut être analysé comme la toute première crise liée à une politique fiscale présentée comme écologique, avec la révolte que l’on a vue quand le gouvernement français a tenté de justifier la taxation du quotidien de millions de foyers (taxes sur les carburants) en vertu d’un objectif indirect et impalpable, la transition écologique vers un hypothétique monde « vert » (1).
Et force est de constater que le discours sur l’écologie évoque des aspects éloignés de la réalité quotidienne et palpable de la plupart des gens, tels que la fonte des glaciers, l’élévation du niveau des mers ou le réchauffement climatique. Si bien qu’il suffit d’un hiver froid dans l’hémisphère nord pour qu’avec malice un Donald Trump contribue à embrouiller les esprits et fasse la leçon aux écolos empêcheurs de polluer en rond. En outre, ce discours est confus car traité « sectoriellement », chacun se battant pour sa (juste) cause : disparition des animaux sauvages, plastiques, chemtrails, glyphosate, pesticides, abeilles, nucléaire, pollution de l’air et des eaux, pollution lumineuse, artificialisation des sols, déforestation, pandémies, traitement du bétail d’élevage…
La réflexion qui suit a pour objet de montrer que ce sont là autant de conséquences d’une seule et unique cause : la surpopulation humaine. Il suffit pour s’en rendre compte en un instant de se demander si avec un milliard d’habitants sur Terre les maux seraient les suivants : pression sur les ressources, réchauffement climatique lié à la combustion des énergies fossiles et aux activités humaines, écosystèmes mis en règle. Tous ces maux découlent directement et exclusivement d’une « empreinte anthropique » excessive. L’action politique doit s’attaquer à cette question d’urgence et de manière bien plus globale et directive que ce qui a pu être entrepris, et des pistes sont suggérées.
Le développement (in)soutenable de la population
Les projections d’évolution de la population mondiale les plus récentes de l’ONU ou de l’INED font état d’une augmentation continue et rapide, de 7,5 milliards d’habitants aujourd’hui à 10 milliards en 2050. Elle va donc encore augmenter du tiers en trente ans ! Avec des contrastes entre les zones : si le taux de croissance se stabilise et diminue dans de nombreux pays l’Afrique verra sa population doubler dans cette période, de 1,2 milliards à 2,5 milliards. Des pays comme le Niger ont un taux de fécondité de plus de 7 enfants par femme alors que la Chine, descendue à 1,8 enfants par femme, a déjà passé le cap de la transition démographique et que l’Inde, à 2,3, paraît en passe de le faire. Sur sa lancée actuelle, la population pourrait même atteindre un maximum de 11 milliards d’habitants en 2100 avant de (peut-être) commencer à décroître. Car comme chacun le sait, sa croissance est marquée par une inertie qui s’étale sur une à deux générations au moins.
Quand on évoque la croissance de la population, on pense à Thomas Malthus qui avait alarmé sur l’épuisement des ressources au seuil de la Révolution industrielle. Depuis son époque la population a été multipliée par huit tandis que le PIB mondial l’a été par un facteur 500 (2), conduisant à un enrichissement moyen considérable et même à une diminution relative des personnes souffrant de la faim.
Malthus, qui n’avait pas pressenti l’explosion de la productivité agricole (machines, engrais), s’était trompé. Pour autant, loin de l’image étriquée et péjorative qu’on leur accole souvent ses questionnements étaient simplement en avance de deux siècles et sont d’une forte modernité. Aujourd’hui, en effet tous les indicateurs de la « révolution verte » sont au rouge, elle qui a permis l’explosion des rendements agricoles depuis plus d’un demi-siècle. Il n’y a plus de réserves de productivité en matière agricole (sols saturés d’engrais et tous exploités, élevages destructeurs, machinisation à outrance), d’autant plus que l’épuisement concomitant des ressources fossiles menace l’utilisation des tracteurs et des engrais riches en pétrole.
La production céréalière et de riz mondiale stagne depuis quelques années, autour de 2,5 milliards de tonnes par an et sa croissance depuis plusieurs décennies résulte aux trois-quarts de l’amélioration des rendements agricoles à base d’intrants et de mécanisation, eux-mêmes liés aux énergies fossiles (3). Quant à l’élevage et à la pèche, s’ils continuent de croître tout le monde sait que cette croissance ne peut continuer indéfiniment avec l’accaparement des ressources naturelles. Compte tenu de cette saturation, à moyen terme, au vu de l’augmentation d’un tiers de la population mondiale d’ici 2050 et des besoins immenses non encore assouvis, la quantité alimentaire disponible par personne ne peut que diminuer et les prix mondiaux des denrées alimentaires augmenter.
Du “global warming” au “global warning”
Voici l’humanité entrée dans l’ère dite de l’anthropocène, où ses activités ont pour la première fois un impact potentiellement destructeur sur la planète entière. Pour autant des catastrophes écologiques « limitées » résultant de l’action de l’Homme ont déjà émaillé l’Histoire, qui peuvent fournir un éclairage intéressant : dans les livres majeurs qu’il a écrits sur la relation de l’humanité à son environnement les douze mille dernières années (4), l’anthropologue américain Jared Diamond démontre, à partir des avancées de la science en matière de reconstitution des environnements naturels du passé, le lien évident entre la disparition de civilisations entières, la surpopulation et l’épuisement des ressources naturelles. Il en a été ainsi dans les cas connus de l’Ile de Pâques ou de l’empire Maya, aussi bien que pour les histoires moins documentées de la disparition des implantations pluriséculaires des Vikings au Groenland ou de la civilisation des Anasazis en Amérique du Nord précolombienne. Jared Diamond étudie également le peuplement des îles du Pacifique pendant plusieurs millénaires et la destruction d’écosystèmes entiers qui conduisit les peuples à successivement abandonner certaines îles pour en rejoindre de nouvelles.
Loin de ressortir de fluctuations du climat comme on le dépeint souvent, il démontre que ces catastrophes sont le signe d’une gestion non durable des environnements qui précipita la fin de civilisations entières. Il éclaire même différemment le Génocide intervenu au Rwanda en 1994 en montrant qu’au-delà de la lecture ethnique il pourrait résulter de la surpopulation endémique de la région des Grands Lacs exacerbant les tensions de toujours sur la possession des terres. Inversement, Jared Diamond met en valeur le contre-exemple positif du Japon, menacé de déforestation par l’activité humaine au 17ème siècle et sauvé par les politiques autarciques des Shoguns, ou encore les différences de gestion de l’environnement qui ont conduit Haïti et la République Dominicaine à des développements opposés alors que ces deux pays se partagent la même île.
Surtout, il démontre que loin d’être idyllique et en accord avec l’environnement comme certains partisans de la décroissance se plaisent à le croire, le passé pré-industriel de l’humanité a été scandé par ces catastrophes écologiques qui voient une population humaine croître de manière excessive par rapport aux facultés de renouvellement de son environnement. Ainsi de la disparition de la quasi-totalité des grands mammifères de l’Amérique du nord, concomitante avec arrivée des Amérindiens onze mille ans avant notre ère, alors que ces animaux avaient survécu à plusieurs épisodes successifs de glaciation et de réchauffement climatique (5). Ainsi également, plus proches de nous, des paysages méditerranéens et du « Croissant Fertile » de l’Asie aujourd’hui desséchés et dégradés mais dont les dernières recherches montrent qu’ils sont l’« héritage » d’une mauvaise gestion par l’Homme bien plus que du climat comme on le représente souvent.
La différence, c’est qu’à l’ère de l’anthropocène c’est toute la planète qui pour la première fois est affectée par l’action de l’Homme et ce dernier, qui possède en principe bien plus de connaissances que le chasseur-cueilleur de jadis, devrait s’en apercevoir et s’en alarmer. Or, pas plus vraisemblablement que les Pascuans d’antan quand ils ont arraché le dernier arbre de l’île de Pâques sans s’en rendre compte tant ils étaient divisés en chefferies, la mondialisation ne nous rend ce phénomène d’épuisement perceptible : d’une part nous sommes divisés en Etats aux intérêts divergents, d’autre part elle permet un accès facilité aux ressources et procure une impression d’abondance sans limites (sous condition de ressources bien entendu). Elle opère un découplage de l’Homme avec son environnement (6) qui nous empêche de percevoir avec netteté la dégradation globale. Ce n’est plus seulement le « global warming » qui est à craindre, c’est un « global warning » bien plus général, tant tous les indicateurs de la biodiversité sont au rouge.
Article suivantRéférences :
(1) Mouvement des Gilets Jaunes qui a bien entendu d’autres facteurs et d’autres légitimités, dont la perception d’une inégalité de traitement dans la mise en place de cette taxe n’est pas la moindre…Mais qui montre en creux la difficulté d’instaurer une fiscalité verte consensuelle.
(2) Il est passé de 175 milliards de dollars en 1800 à 84 740 milliards en 2017.
(3) Le deuxième facteur de croissance de la production agricole, l’extension des terres agricoles au détriment des milieux naturels, atteint également ses limites avec la déforestation, la dégradation et la salinisation des sols.
(4) Voir notamment « Effondrement » de Jared Diamond.
(5) Les grands mammifères domesticables (chevaux, bœufs…) ont par la suite manqué cruellement aux peuples de l’Amérique précolombienne, notamment en comparaison avec l’Europe et l’Asie, comme le démontre le livre « De l’inégalité parmi les sociétés » de Jared Diamond.
(6) Voir mes articles sur la mondialisation dans la revue Esprit : https://esprit.presse.fr/article/de-blasi-maxime/decrire-la-mondialisation-vers-un-monde-gazeux-plutot-que-liquide-15600 et Le Monde : https://www.lemonde.fr/idees/chronique/2010/04/20/cendres-du-volcan-revelatrices-d-une-humanite-sous-serre_1340348_3232.html