Une suite d’articles par Maxime De Blasi
Article précédentEn tout premier lieu il faut absolument éviter l’accroissement de population qui s’annonce dans les 30 ans. Il n’est pas durable et menace l’humanité entière. Une prise de conscience suivie d’actions mondiales à base de fortes incitations doivent être entreprises d’urgence, particulièrement dans les zones où elle croît de manière déraisonnée, et notamment l’Afrique, qui concentrera la moitié de l’augmentation mondiale. Certains hurleront -réflexe conditionné qui empêche toute réflexion et tout débat- au néocolonialisme, à l’impérialisme, à l’eugénisme, à la dictature. Un exemple caricatural est la tribune idéologique de la philosophe Elsa Dorlin (1) lorsque le président Macron au sommet du G20 de juillet 2017 à Hambourg -l’un des seuls dirigeants à avoir abordé ce problème explicitement, il faut le reconnaître- a observé avec logique que « quand des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider de dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ». C’est dire le point zéro où se situe la réflexion sur le sujet, Macron ayant plaidé en l’occurrence pour une scolarisation et émancipation des jeunes femmes accrues, qui ne sont pas spécialement des mesures réactionnaires on en conviendra. Mais chez « ces gens-là », dès qu’un dirigeant occidental évoque un pays non-occidental il tient par essence un discours colonial. Comment hurler au colonialisme ou à un fantasmagorique remplacement quand les pays occidentaux ne représentent que 15 % de la population mondiale, et moins de 10 % en 2050 ?
Et quel est le gouvernant de n’importe quel pays qui accepterait de voir augmenter sa dépendance de l’étranger et de vivre d’aumônes internationales ? Car la population, loin d’être du ressort de la souveraineté ultime d’un pays ou, comme on la présente parfois, l’« arme du pauvre », est une arme qu’il se retourne contre lui en accroissant sa dépendance : au niveau collectif, elle provoque l’importation de matières premières, et la soumission aux fluctuations et aux phénomènes de spéculation qui caractérisent les marchés mondiaux des denrées. L’exemple de l’Egypte ou de l’Algérie, pays historiquement agricoles mais qui ne sont plus autosuffisants et sont soumis régulièrement à de fortes tensions liées au prix des denrées, voire à des émeutes de la faim, est éclairant.
Sans oublier l’aide alimentaire internationale qui fait vivre de nombreuses populations mais les fait dépendre de l’étranger avec les conséquences désastreuses en cas de retrait : le nombre de pays africains en bénéficiant a doublé depuis dix ans d’après la FAO, et l’aide fait vivre jusqu’au tiers des habitants de certains pays. Au-delà des aléas climatiques et des guerres, le fait est que l’aide alimentaire internationale est devenue structurelle, marquant l’insuffisance des cultures vivrières par rapport à l’augmentation de la population, et qu’elle déstabilise d’ailleurs ces mêmes cultures. Qu’en sera-t-il quand la population aura doublé ? Qui peut faire croire que la situation sera meilleure ou même seulement stable ? Peut-on laisser-faire ?
Ces idéologues du laissez-faire nataliste qui dénient toute politique publique concertée de lutte contre la surpopulation font le jeu du capitalisme le plus effréné qui soumet ces populations à la mondialisation et à la « main invisible » du marché. Fermer les yeux sur la surpopulation est devenu le nouvel avatar du « benign neglect », une douce négligence au sens propre comme au sens figuré.
Et que dire des migrations qui ne pourront que s’accroitre avec la pression démographique. On évoque sans cesse un futur de réfugiés climatiques mais qui en a déjà rencontré un ? Au Niger par exemple, d’ores et déjà traversé du sud au nord par la route des migrants entre l’Afrique subsaharienne et la Méditerranée, la natalité à plus de sept enfants par femme va doubler le nombre d’habitants d’ici 15 ans seulement, à 40 millions d’habitants et, si rien n’est fait, jusqu’à 100 millions à la fin du siècle alors que ce pays a des terres arables limitées à sa frange sud, a fortiori fragilisées par la désertification. Comment ne pas croire que des flots d’humains dont l’échelle sera sans commune mesure avec les niveaux actuels seront poussés à migrer par l’insuffisance des ressources. Est-ce cet avenir de déracinement et de déstabilisation qu’on souhaite aux pays africains ?
Ce ne sont pas les gaz à effet de serre qu’il faut limiter, c’est la population
Les partisans du laissez-faire sont les passéistes d’aujourd’hui : ils en sont restés à la théorie physiocratique pré-malthusienne, qui établissait un lien direct et causal entre les matières premières, le nombre d’humains et le développement. Mais il y a bien longtemps qu’on sait que la prospérité est un phénomène largement « hors sol », sans lien nécessaire avec la population comme le montrent les exemples de la Suisse, de la Hollande et de nombreux pays émergents qui ont fait de sa maîtrise un axe de développement et de prospérité, tel le Ghana en Afrique.
La question de la surpopulation doit émerger à nouveau dans le débat public comme un nombre croissant d’intellectuels et scientifiques commencent à le réclamer (2). Il faut combattre énergiquement le discours nataliste des Eglises et de l’Islam : le respect de la vie ne saurait s’étendre au vivant non avenu que sont les enfants non encore conçus. Les paroles de l’Ecclésiaste dans la Bible « Une génération s’en va, une génération arrive, mais la terre subsiste toujours » sont désormais hors de propos puisqu’avec l’allongement de la durée de vie les générations restent tandis qu’en arrivent de nouvelles encore plus nombreuses et que la Terre, elle, est menacée à court terme.
Au niveau politique il faut assumer les mesures restrictives nécessaires puisque c’est rien moins que la survie de la planète et de l’humanité qui est en jeu, et les exemples des réussites du Japon et de la Chine montrent qu’à un certain stade critique et en situation de crise avérée seules les actions coercitives qui restreignent la liberté individuelle et le laissez-faire faux-nez du capitalisme débridé sont pertinentes. Sans pour autant crier à la « dictature écologique » car ce n’est pas la liberté des gens qui sera ainsi atteinte mais leurs habitudes et modes de pensée dans le rapport à l’avenir qu’exprime le fait d’avoir des enfants, rapport qui a évolué au cours des siècles observons-le. Il s’agît de le faire évoluer bien plus vite par une prise de conscience pour répondre à l’urgence.
Au-delà de mesures de moyen terme telles que l’éducation à la contraception, la scolarisation et l’éducation des jeunes filles, à court terme la politique de l’enfant unique doit être ré-entreprise en ayant prouvé son efficacité pour limiter les naissances et amoindrir le pic de transition démographique, cette contrainte pouvant être desserrée au bout de quelques décennies. D’ailleurs, il est essentiel que cette politique ne s’applique pas qu’aux pays en développement dans la mesure où la question de la surpopulation est globale. Il convient de questionner les politiques familiales classiques que nous connaissons en Occident, et au premier chef les allocations familiales croissantes en fonction du niveau d’enfants pour les réorienter le cas échéant (3). Inversement, dans la mesure où l’enfant est logiquement perçu comme une assurance-vieillesse dans les pays en développement dénués de soutien collectif aux personnes âgées il faut les aider à instaurer rapidement des régimes vieillesse permettant une prise en charge minimale. Des incitations financières et matérielles significatives versées aux familles peu nombreuses et aux personnes âgées, et inversement des pénalités, peuvent être conçues.
Ce ne sont pas les gaz à effet de serre qu’il faut limiter, c’est la population ! J’utilise à dessein cette formule pour poser la question de quotas au niveau mondial, définis par une Conférence internationale sur la limitation de la population mondiale, déclinant en quotas régionaux une répartition de la charge et des actions, avec la définition de cibles de trajectoires de court, moyen et long terme. Pour être consensuels ces quotas pourraient par exemple se baser sur la reconduction du pourcentage des peuplements actuels des différents continents dans le cadre d’une diminution en termes absolus. Eu égard à l’urgence du problème les aides internationales seraient réorientées vers la maîtrise des engagements.
Il n’est donc pas question de tuer quiconque, ni de colonialisme, mais d’entamer immédiatement une réorientation drastique de nos soutiens et de nos politiques, y compris familiale, et y compris « chez nous » dans les pays développés. Les combats écologiques énoncés en introduction restent évidemment d’actualité mais ils doivent être subordonnés à l’urgence absolue d’une politique internationale de limitation de la population car il reste très peu de temps pour freiner la perspective du doublement des besoins en 30 ans qui en découle, alors que tous les indicateurs écologiques, agricoles et fossiles sont au rouge.
Références
(1) Voir l’article publié dans Le Monde en 2017 : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/11/30/macron-les-femmes-et-l-afrique-un-discours-de-selection-sexuelle-et-de-triage-colonial_5222794_3212.html
(2) Voir la tribune collective publiée dans Le Monde en octobre 2018 : https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/10/09/freiner-la-croissance-de-la-population-est-une-necessite-absolue_5366580_3232.html
(3) En France, les allocations familiales et la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) représentent une dépense de 23 milliards d’euros en 2018, soit 1 % du PIB et 7 % des pensions de retraite (316 milliards d’euros).
Ces articles parus dans le Débat édition Gallimard n° 206 – Septembre-Octobre 2019
Avec l’aimable autorisation de Maxime De Blasi