Le seuil de tolérance vs le seuil de pauvreté

Toute personne a un seuil de tolérance physique et moral, différent pour chacun. En dessous de ce seuil, il aura tendance à subir son travail, à voir ses enfants comme un fardeau financier plus que comme une joie, il enviera ce que les autres possèdent. Ceci explique peut-être pourquoi des ménages arrivant avec des fins de mois dans le rouge, ont des problèmes de santé dus à l’anxiété : obésité, anorexie, stress.

Comment peut-on définir un seuil de tolérance, (ici ce mot étant pris dans le sens de ce que l’on peut tolérer entre vivre et survivre), remplaçant le seuil de pauvreté, les mots ayant leur importance ? Le seuil de tolérance de nos besoins ne sont pas les mêmes pour tous ; pour la mère de famille célibataire débordée ou la mère de famille nombreuse débordée elle aussi, mais soutenu par son compagnon qui partage les tâches et qui ramène une paie conséquente au foyer ? Pour l’étudiant ou le retraité ? Pour le gardien de prison ou le délinquant en cellule ? Pour celui qui habite dans le nord de la France ou dans le Sud ? Or, nous dépendons tous du même seuil de pauvreté, quel que soit notre lieu d’habitation et la composition de notre famille ainsi que notre état de santé.

Peut-on définir et calculer un seuil de tolérance ?

Nous ne sommes pas les seuls à nous demander quels sont les besoins matériels et environnementaux nécessaires pour vivre et non survivre ? Des enquêtes sont menées dont les résultats apparaissent sur Internet. Les commentaires sont aussi révélateurs que les enquêtes elles-mêmes.

Une enquête menée par Rue 89, sur Internet, corrobore une étude de différentes personnes entre revenus et dépenses et confirme que plusieurs critères sont à prendre en compte, le plus gros poste du budget étant le logement.

Toujours sur Internet, le site Clameur nous donne les tendances nationales des loyers en France. Pour un studio de 20m², il faut en moyenne compter 16,2€ x 20m² soit 324,00 € + charges locatives, soit environ 400€.

C’est ainsi que théoriquement 30% des citoyens percevant le SMIC ou moins n’auraient plus le droit de se loger, s’ils ne vivaient chez les parents, ou dans des logements insalubres, les loyers et charges locatives représentant un tiers des revenus (ceci fait partie des références demandées par les bailleurs, qui ne prennent pas en compte les prestations allocations logement qui pourraient être perçues), soit 400€ x 3 = 1200 € net. On comprend mieux comment des personnes travaillant à temps plein avec un CDI se retrouvent sans domicile personnel. Paris intra-muros et les grandes métropoles étant hors de portée de nos bourses.

Si revenus et dépenses sont différents pour chacun, certains besoins matériels comme logement, nourriture, soins, impôts et taxes sont incontournables. Il faut aussi admettre que les besoins financiers, ne sont pas les mêmes, suivant le sexe, le lieu géographique, l’emploi, la situation familiale. Au nord, nous aurons plus besoin de chauffage qu’au sud. Le coiffeur n’a pas le même coût pour une femme que pour un homme, un parent seul avec des enfants en bas âge aura besoin de structures pour le seconder, etc…

Par exemple, les besoins (le seuil de tolérance) ne sont pas les mêmes pour une famille monoparentale avec 3 enfants habitant Les Menuires en haute montagne et un célibataire sans personne à charge habitant Menton, région tempérée.

Faut-il prendre en considération les loyers ? Ce n’est pas la même chose d’avoir 1000€, de ne pas payer de loyer et d’avoir 1000€ et de devoir payer 500€ de loyer. D’autres, qu’il faudrait ajouter pour certaines catégories l’autoconsommation ou l’accès possible à des services publics. Laissons à chacun le choix d’existence que ces personnes auront fait. Pourquoi les pénaliserait-on pour ce choix ? C’est aussi oublier qu’un propriétaire paie des impôts fonciers et que la plupart des familles avec enfants, locataires de leur appartement touchent l’APL.

Il est important que le seuil de tolérance soit calculé en fonction des évolutions familiales. Il a été démontré qu’il existe un lien entre l’incidence des changements dans une vie et le déclenchement de problèmes médicaux mineurs, de maladies psychosomatiques ou de dépression. La santé physique et psychologique d’un allocataire du RSA résiste mal à la longueur du processus ainsi qu’aux échecs constants qui l’ont amené à ce stade et qui l’y maintiennent. Psychologiquement, si la personne a de quoi financièrement survivre, il n’en est pas de même pour sa santé qui évolue très souvent vers la dépression ou des maladies chroniques.

Ce sont ces statistiques qui faussent le raisonnement de nos édiles. Puisque c’est un état dû à plusieurs facteurs, ne serait- il pas plus juste de définir et d’appliquer une grille de seuils de tolérance suivant le quotient familial et le lieu géographique, plutôt qu’un seuil de pauvreté.

Il est évident que le seuil de tolérance sera toujours approximatif et remis en cause, tout comme on peut être toujours pauvre par rapport à nos envies et nos besoins.

Comment la France d’en bas vit-elle avec un SMIC sans les aides ?

Pour voir si le raisonnement tient la route, voyons si nous dépenserions de la même façon selon le lieu et le sexe, une somme identique. Prenons comme exemple de comparaison deux célibataires, gagnant tous deux le même salaire, dont un homme travaillant à moins de cinq cents mètres de chez lui, à Lodève, petite ville de l’Hérault, comme manutentionnaire dans une grande surface commerciale et une femme célibataire, vendeuse dans un magasin, habitant la banlieue marseillaise, et travaillant dans le centre-ville. Tous deux sont au contact du public.

Ils n’auront pas les mêmes besoins, donc, les mêmes dépenses. Les dépenses de transport, de coiffeur, d’habillement, de frais de repas à midi, seront plus conséquentes pour la femme que pour l’homme, sans compter le temps consacré au transport. Pourra-t-on prendre en compte un renouvellement des appareils ménagers et des menues réparations, une épargne pour l’imprévu et les impôts, ainsi que des vacances. Si on souhaite comptabiliser des vacances, c’est pour donner un peu de respiration, éviter des effets de stress, bien peu profitable à la sécurité sociale.

En définitif, les fins de mois seront plus difficiles pour elle que pour lui. L’égalité de leurs salaires n’y changera rien, ce sont les circonstances qui modifient le résultat. Dans ce cas-ci, pour définir le seuil de tolérance, il faudrait prendre, non les besoins du manutentionnaire de Lodève, mais ceux de la manutentionnaire de Marseille. Le choix de vie étant financièrement plus favorable au manutentionnaire de Lodève qu’à celle de Marseille. Vous direz : elle avait le choix d’aller habiter Lodève. Mais si tout le monde va habiter Lodève, Lodève deviendra Paris. Et les habitants de Lodève n’ayant pas la même vie sociale que ceux de Paris ont droit aux compensations du lieu choisi.

Pour les statistiques, la manutentionnaire de Marseille est au-dessus du seuil de pauvreté, de 228 €. Elle touche le SMIC et pourtant…. Il n’est pas difficile de comprendre qu’elle ne peut que survivre ayant atteint son seuil de tolérance. Grâce aux aides cumulées de l’État et des associations, elle n’aurait pas intérêt à travailler, mais s’enfoncerait de plus en plus dans la survie et la dépression. Pour qu’elle puisse avoir le même niveau de vie que le manutentionnaire de Lodève, il faudrait que son revenu mensuel soit au minimum de 200,00€ supérieur.

… et quand on est seul ou plusieurs à vivre sous le même toit

Il existe le fameux quotient familial qui est censé aidé, mais là aussi est-il « juste » pour cette France des bas revenus ? Alors que Bercy pense, dans un souci d’équité, qu’un couple marié ou pacsé et soumis à l’imposition commune a droit à 2 parts de quotient familial ne tenant compte que des revenus. Les personnes à charge (enfant, personne invalide) donnent droit à une demi-part par personne à charge pour les 2 premiers à charge et une part entière par enfant à partir du 3e.

Dans la suite de notre raisonnement, si une famille monoparentale à droit à une demi-part supplémentaire, quel que soit le nombre d’enfants, ou ayant à charge une personne invalide ou âgée, a autant de frais fixes qu’une famille composée de deux adultes qui peuvent s’entraider, ce niveau diminuant avec le nombre d’enfants et les besoins géographiques.

Combien leur reste-t-il une fois loyer et charges locatives enlevés, pour vivre, payer les assurances, EDF, etc … par personne avec un : SMIC mensuel à temps plein (soit 35 heures hebdomadaires) au 1/01/2022
brut : 1 603,12 €. Les conventions collectives et les accords d’entreprise pouvant eux aussi définir une rémunération minimale selon l’emploi occupé.
net : 1 269 € selon le contrat de travail

Pour une personne seule logeant dans un deux pièces à Marseille en retirant les frais fixes (loyer + charges) de 500€
(1269 € – 500 €) = 769 €

Pour une personne ayant un enfant à charge logeant dans un deux pièces à Marseille en retirant les frais fixes (loyer + charges) de 500€
(1269 € – 500 €) : 2 = 384, 50 €

Dans ces autres exemples que l’on soit trois ou quatre, le loyer est inchangé, la surface occupée étant la même : ( Source : https://www.seloger.com/prix-de-l-immo/location/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille-1er/130201.htm)
Pour un couple travaillant tous deux avec un enfant moins loyer sans les charges locatives pour un trois pièces de 60m² à Marseille (1 séjour, 2 chambres, cuisine, salle d’eau)
(1269 € x 2) – (60 m² x 14,08€ ) : 3 pers.= 556, 06 €

Mais s’ils ont deux enfants, et si les deux enfants font chambre commune donc loyer identique on aura :
(1269 € x 2) – (60 m² x 14,08€) : 4 pers.= 417,05 €

Sans les aides sociales, le pouvoir d’acheter diminue avec le nombre d’enfants malgré les économies faites sur la surface de l’appartement, donc sur le bien-être. Les dépenses pour les enfants étant en réalité plus conséquentes que pour les adultes même si elles sont différentes. Pour les bébés, les couches et laits maternisés sont une véritable charge. Les enfants grandissent vite. Chaussures et vêtements sont à renouveler tous les six mois, si ce n’est plus. Un enfant mange autant qu’un adulte quoique l’on pense, petit déjeuner, déjeuner, goûter et dîner. Les fournitures scolaires et les activités péri-scolaires ne sont pas gratuites. C’est l’enseignement qui l’est.

Les dépenses d’énergie et de temps dépendent de la distance entre le lieu de travail et l’habitation. Il y a 30 ans, il était établi que la distance moyenne de son habitation à son lieu de travail était de 4 km, il est maintenant de 30 km. Tout comme on souhaite baisser le seuil de pauvreté, un des moyens de faire baisser notre seuil de tolérance et d’augmenter notre « pouvoir d’acheter » est de changer les comportements en commençant par revoir l’urbanisme, afin de réduire les temps et les coûts de transport, de faire cohabiter lieu de travail, commerces et habitations.

On pourrait en conclure que l’inégalité entre homme et femme n’est pas due seulement aux études, aux emplois, aux salaires et aux temps de travail, mais aussi aux besoins de chacun.

A suivre …..