Être de gauche ou être de droite, c’est choisir une des innombrables manières qui s’offrent à l’homme d’être un imbécile; toutes deux, en effet, sont des formes d’hémiplégie morale.
José Ortega y Gasset

philosophe

                Dogmes, chartes, statuts, règles, lois, codes. Ces textes sont censés favoriser la vie en société, et certains sont effectivement très utiles. Nous n’imaginerions pas un instant circuler en voiture sans code de la route. Cependant à côté de ces textes utilitaires nous sommes englués, asphyxiés, sous des contraintes liées à l’air du temps, au prêt-à-penser, au politiquement correct. Les partis politiques en sont un bel exemple, ou les syndicats. Vous adhérez à un parti et automatiquement vous êtes censés adopter toutes les décisions prises par le bureau politique ou par toute structure équivalente. La survie d’un parti étant directement lié à son nombre d’adhérents, finances obligent, les compromis, les compromissions foisonnent. Combien de « petits » partis ont rejoint « Renaissance » pour de simples questions budgétaires ? Les valeurs disparaissent lorsque les plus-values approchent. À une époque pas si lointaine, dans les partis de gauche, on ne voulait voir qu’une seule tête, surplombant de préférence un col Mao. Aujourd’hui le parti dominant c’est le Marché qui est le grand Tout. Le ruissellement est censé alimenter l’ensemble des travailleurs, les patrons s’enrichissent et leurs baignoires débordantes rafraîchissent les ouvriers. Sauf que la plupart du temps, les baignoires s’agrandissent.

 

     La pensée iconoclaste, dérangeante, est étouffée. Les réseaux sociaux enferment votre avis dans une bulle logarithmique vous confortant dans votre réflexion et ne vous opposant aucune contradiction. Il faut effectivement être un peu masochiste pour affronter des avis contraires aux vôtres, surtout que les débats d’aujourd’hui se résument généralement à des invectives. Mais c’est le prix à payer pour élever la réflexion car si nous n’y prenons garde un couvercle de plus en plus pesant enferme les esprits dans la casserole médiatique.

Les mots et les expressions participent également de cet affadissement de la pensée. Les mots abrupts sont bannis, les pensées dérangeantes sont évacuées, le monde doit être lisse sans éruption cutanée, sans prurit révolutionnaire, afin que le temps de cerveau disponible ne le soit que dans un seul but : consommer. Plus de blessés en danger de mort, le pronostic vital est engagé. Plus de licenciement économique, mais des plans de sauvegarde de l’emploi. Plus d’exploités mais des défavorisés. Et depuis quelques jours plus de pauvres, mais des Français en situation de sobriété subie.

« Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ».

Étienne Mougeotte

PDG Goupe TF1

        Les problèmes actuels demandent du recul, une vision stratégique, une pensée systémique, et pas un tweet. La profondeur de la pensée politique aujourd’hui s’exprime dans cette boîte de quelques lignes. Nous avons un problème avec les énergies fossiles, partons sur le tout électrique. Quelles sont les mesures que nous avons prises pour protéger les ouvriers chinois qui extraient les minéraux comme le lithium, ainsi que les populations environnantes ? Quand nous comparons les émissions de gaz à effet de serre, de carbone, réfléchissons-nous sur l’ensemble de la chaîne, avec l’extraction, le traitement, le transport, et le recyclage ? La filière nucléaire délaissée pour satisfaire quelques Verts virulents, et ramasser des voix, et maintenant nous allons lancer de nouvelles centrales, mais sans solution pérenne et acceptée pour le stockage des déchets. Nous aurions des politiques qui pratiqueraient la navigation sur des paquebots, ils sauraient que ces géants des mers sont insensibles dans l’immédiateté aux changements de direction, ou d’allure. Alors une politique nationale.

      Nous sommes dans l’époque du tweet, du buzz, du scoop, du flash, de la brève, bref dans l’émotion médiatique. Le problème ne passe pas en boucle sur les chaînes d’infos, il n’existe pas. Aujourd’hui l’Ukraine est partout, et à juste titre, mais le conflit date de 2014. Nous commençons à nous émouvoir pour l’Arménie, sans doute parce que les téléspectateurs commençaient à se lasser, et qu’il faut les maintenir devant les écrans. Mais le Burkina Faso, le Cameroun, le Yémen, la Syrie, l’Irak, le Soudan, pour ne citer que quelques conflits en cours ?

       Le mondial du foot au Qatar, une aberration écologique, sportive, et un scandale humanitaire, mais qui date de 2010. Si nous boycottons la coupe du monde, pourquoi pas le PSG, le Qatar Arc de Triomphe, le Qatar Jockey Club ? Nous voyons à travers ces exemples que c’est l’aspect médiatique qui fait la différence, et donc le superficiel. Nous avons maintenant les Jeux d’hiver asiatiques en Arabie Saoudite. Même si ce pays dispose de montagnes enneigées, contrairement à ce que notre vision européenne nous renvoie, elles ne le sont pas suffisamment pour ce genre d’événement. Ce sera donc une consommation effrénée de tonnes d’eau pour créer de la neige artificielle. Ne criez pas au scandale, nous faisons la même chose dans certaines de nos stations de ski françaises. Alors pas de critiques différenciées, à deux vitesses. Ce qui serait dispendieux en Arabie Saoudite, écologiquement insoutenable, devrait l’être également dans nos stations d’hiver fréquentées par certains cadres dit supérieurs, roulant en SUV, ou débarquant par avion, loin de ceux qui fument des clopes et roulent au diesel.

  Pour s’intéresser, et comprendre les problématiques actuelles, il faut du temps, de la culture, de la réflexion, et une ouverture d’esprit qui ne ressemble pas à une fracture du crâne, comme le disait mon maître à panser (le a de panser est volontaire). L’éducation populaire était une idée généreuse, même si elle a été parfois détournée par des idéologues gauchisants, elle reste une belle idée. C’est ce qu’il nous faut renouveler à l’aide de réunions citoyennes, appuyées éventuellement par des MOOC, des experts bénévoles, tout ce qui peut aider à reconquérir la politique.

        L’un des écueils à éviter pour ces groupes, ces collectifs, est la manipulation. En effet, les militants des partis politiques sont prompts à s’infiltrer dans ces instances grâce à leur entregent, leur aptitude à la prise de parole, leur science de l’organisation. Et rapidement le groupe ne devient que le bras inconscient d’un parti, et d’une idéologie. Le meilleur moyen d’éviter cela, ou de le limiter, est de pratiquer la cooptation. Les gilets jaunes l’avaient compris au début de leur mouvement. Malheureusement sans doute éblouis par la notoriété, la visibilité et la médiatisation, ils sont devenus les soldats de terrain, la piétaille frigorifiée de généraux tapis dans des bureaux chauffés, et dont le but réel n’était certainement pas la défense des droits, mais l’accroissement de leur pouvoir.

     Si vous avez eu la patience de lire cet article jusqu’au bout, tout d’abord je vous en remercie, cela devient rare des lecteurs qui dépassent la longueur d’un tweet. Vous l’avez également compris dans ces divers paragraphes il y a matière à débats, réflexions et propositions. Vous disposez du Cercle Sully et de son premier millier d’abonnés pour mettre en place ces groupes dans votre quartier, ville, département. Nous avons des référents dans de nombreux départements ils prendront contact prochainement avec vous. Faites leur bon accueil, la situation mérite que l’on y consacre de l’énergie, du temps.

Bon vent, belle mer
Alain Raynaud