Par Maxime De Blasi (essayiste), auteur de « Environnement, population, niveau de vie. Le triangle des incompatibilités » paru dans la revue Le Débat

D’après le bilan annuel de l’Insee, en 2022 il y a eu 723.000 naissances en France, un plus bas historique depuis 1946. Après 800.000 naissances annuelles entre 2006 et 2014 la natalité a baissé légèrement chaque année depuis.

Comme d’habitude beaucoup crient au « déclin », au « vieillissement » de la population, présenté comme non soutenable, mais quid de la soutenabilité du nombre d’humains pour la planète ? Car le niveau de la population mondiale impacte les écosystèmes : plus d’humains, c’est plus de consommation de biens, de denrées, de consommation d’espace aussi, ce qui affecte la survie des espèces sauvages au moment où se confirme la 6ème extinction de masse.

Depuis 1950 la population mondiale a déjà été multipliée par trois, celle des émissions de gaz à effet de serre (GES) par quatre, la température moyenne du globe a définitivement décollé de plus d’un degré de sa moyenne historique, avec un lien direct et homothétique entre ces évolutions.

Le triangle d’incompatibilités de l’écologie : « produire ou se reproduire, il faut choisir »
Faisons une expérience de pensée très simple : si la Terre comptait 2,5 milliards d’humains comme dans les années 50 au lieu de huit actuellement, il est évident que le problème environnemental et la pollution globale seraient inexistants. Et au-delà du nombre global brut, l’Occident a une responsabilité directe et écrasante dans la mesure où un bébé occidental a une empreinte écologique 100 fois supérieure à celle d’un Africain par exemple, au regard de sa consommation.

Concrètement, un niveau soutenable de la population mondiale peut être calculé à partir d’une donnée simple : le jour du dépassement. Ce jour symbolise la consommation de toutes les ressources renouvelables de la planète sur une année et n’a cessé de reculer depuis cinquante ans que la planète bleue est dans le rouge : en 2022, c’était le 28 juillet, record de précocité, symbolisant le fait que 8 milliards d’humains consomment 1,7 fois ce que la Terre peut donner chaque année.

Dans le système de ressources finies de la Terre il y a en effet incompatibilité entre la préservation de la planète, la croissance économique et celle de la population : deux de ces objectifs peuvent être atteints mais toujours au détriment du troisième – ce qu’on appelle un « trilemme » ou triangle d’incompatibilités, en l’occurrence de l’écologie. Compte tenu de ces enjeux vitaux, être un écologiste sincère aujourd’hui, ce n’est pas seulement appeler à une « sobriété » très largement fictive au regard de la croissance continue de la consommation, c’est également agir pour une maîtrise de la population mondiale.

L’oubli systématique de la charge économique de la jeunesse
Hérésie environnementale, la croissance non maîtrisée de la population est aussi une hérésie économique. Les mots ne sont pas neutres : on parle de « vieillissement de la population » et de « déclin démographique ». Mais que constate-t-on ? Que la plupart des pays qui « vieillissent », qui soi-disant « déclinent » parce que leur natalité est maîtrisée sont aussi les plus performants économiquement. Ainsi de la Chine qui durant les quarante années où elle a mis en place l’enfant unique a connu une croissance par habitant quatre fois supérieure à l’Inde qui n’a mené aucune politique en la matière. L’Allemagne est dite « vieillissante » mais a une croissance double de la France… Les exemples abondent qui démontrent que ce n’est pas une calamité en soi.

On commet en réalité une grossière erreur quand on parle du « poids » excessif des retraités sur les actifs pour appeler à faire des enfants. Ce raisonnement ne regarde que le rapport retraités/actifs, en oubliant tout à fait la charge économique sur les actifs des enfants : or, ces derniers ne paient pas les pensions des aînés, ni d’impôts, ni de cotisations, il faut les éduquer etc. Une hausse de la natalité, c’est plus de dépenses scolaires, d’éducation, de soins qui pèsent sur les actifs, et sur les retraités. C’est bien la raison pour laquelle les pays à forte natalité (pyramide des âges en forme de triangle pointu avec une large base) sont englués par ces dépenses, bien qu’ils aient peu de retraités, et ont une croissance économique plus faible que les autres.

Dénombrer, maîtriser et investir sur l’émancipation et l’éducation, y compris « chez nous »
Les pistes d’une démographie mieux contrôlée existent, y compris chez nous. D’abord, il faut dénombrer la population mondiale. A l’image du Giec, Groupement d’Etudes sur le Climat, il faut créer un Gied avec un « d » comme démographique, car aucune instance internationale ne dénombre la population, pourtant l’une des deux sources majeures, avec la croissance de la consommation, d’impact sur les écosystèmes. Une pétition indépendante lancée par des scientifiques français appelle d’ailleurs à cette création, idée reprise par l’ancien président Sarkozy.

Ensuite, et surtout il faut agir : l’Afrique et l’Inde vont représenter à elles seules les trois quarts de l’augmentation attendue d’ici 2050. Et l’on observe une corrélation systématique entre le niveau de scolarisation des jeunes filles et le nombre d’enfants qu’elles auront dans leur vie. Alors oui, soutenons financièrement les Etats qui investissent sur leur émancipation et leur éducation. On oppose souvent écologie et progrès social mais il est ainsi possible de les concilier. De plus, comme les familles nombreuses sont perçues comme une assurance pour les vieux jours dans ces pays dénués d’assurance-retraite, les aides des pays occidentaux pourraient financer de tels systèmes pour un coût somme toute mineur, comme M. Waechter, ancien candidat écologiste à la présidentielle de 1988, le propose également.

Mais la démographie est une question planétaire. De fait, en Occident il va falloir à un moment questionner les allocations familiales croissantes en fonction du nombre d’enfants, ou encore le quotient familial, d’autant qu’un bébé occidental aura un impact environnemental 10 à 100 fois supérieur à celui d’un Indien durant sa vie : ces deux mesures ne changeraient pas fondamentalement la donne économique (cumulés, les allocations familiales et le quotient familial ne représentent que 1 % du PIB). Mais l’annonce de leur suppression (progressive) serait immédiatement un vrai signal de responsabilité d’un Occident qui accapare les ressources de la planète et qui ne saurait continuer à gagner sur tous les tableaux : c’est cela, une vision en politique.

N’oubliez pas que ceci est un article qui permet d’ouvrir le débat