Nous avons bien l’habitude de nous penser portés et “agis” par des souvenirs. Nous les traitons comme des “connaissances”, des savoirs sur la vie. On peut les apparenter plus concrètement à des aspirations que nous nommons “projets” dès lors que nous nous en occupons précisément. Il peut arriver aussi que seuls ces passés et ces futurs prennent le pas totalement sur notre activité, phagocytant ainsi notre “moment présent”.

Nous savons aussi, et la psychanalyse nous l’a dit, que nos passés peuvent suroccuper notre présent jusqu’à façonner des obsessions et des névroses. Cette même approche nous dit que ce passé va jusqu’à conditionner notre avenir, la manière de vivre notre futur, de le considérer, de le projeter, de l’aborder, voire même de le façonner.

Ce futur, aussi, nous aspire dans son tourbillon aveugle, comme le fait la chasse d’eau dans les toilettes. Ce futur, construit de croyances et d’espérances, de “conclusions” du passé, occupe et préoccupe notre présent fragile. Celui-ci se trouve comprimé entre histoire et destinée. Et pourtant, la seule chose que nous ayons à vivre est bien ce présent, ici et maintenant.

Nous n’avons, de fait, rien d’autre à vivre que cela : un localisme absolu dans le moment présent. Cependant, notre regard est ailleurs. Comme nous savons que “notre vision guide nos pas”, il devient urgent de poser consciemment tout cela pour en tirer le meilleur. En fait, je redis là ce à quoi nous passons notre “actuel”, notre temps présent : en l’espèce, reconstruire une vision qui porte notre avenir, notre projet résolvant nos passés. Bref, nous restons là dans un cercle vicieux parfait.

En fait, nous pouvons répondre par la négative : la solution réside dans cette capacité que nous aurons, ou non, à simplement prendre conscience que notre présent est totalement occupé par nos préoccupations : il s’agit donc de fuir ou de raviver des moments du passé pour en faire notre futur. Mais qui s’occupe du présent ? Quand le vivons-nous ? Il est juste devenu cet infime espace entre le passé et le futur. D’ailleurs, nous ne savons pas vraiment auquel des deux il se rattache, ni à qui il appartient.

Et si nous le considérions enfin comme le “présent”, ce cadeau de la vie, qu’elle nous fait comme une “régalade” ? Il est en fait la seule chose que nous ayons à vivre ! Et au lieu de rentrer dedans, de le vivre et le savourer, nous en sortons en permanence pour corriger le passé (qui est fini) et préparer un futur “médecine” ou meilleur qui sera notre présent de demain… Et si nous nous occupions du présent de maintenant ?

Michel de Montaigne, dans ses “Essais”, ne souhaitait peut-être pas dire autre chose, notemment par cette citation qui me semble conserver toute son actualité : “Le temps, quant il est bon, je ne le laisse pas passer, je le “retâte”, et je m’y tiens”…

C’est d’ailleurs ce que proposent tant le psychologue américain Jon Kabat-Zinn, que le psychiatre français Christophe André, avec la méditation de pleine conscience. Elle permet à tout un chacun, de se défaire des liens toxiques avec des événements du passé pour “s’occuper de bien vivre le présent”, d’en reprendre la sensation en toute pleine conscience. Car tout ce qui se passe, se passe ici et maintenant. Alors savourons …

Il me souvient cette doctrine, si l’on peut dire, du moins cette invitation que faisaient ce groupe de croyants auquel mon père s’était lié un temps : “Vivre l’instant présent”. Ils ajoutaient à cela le principe de l’unité de tous dans l’universel et l’amour réciproque inconditionnel. Je ne vois là pas beaucoup de différences d’avec le bouddhisme ou les différentes versions de l’animisme…

Finalement, je me dis que les sagesses sont convergentes. Elles nous appellent toutes à rompre avec les liens toxiques. Ceux-ci nous enferment dans un passé douloureux pour un futur hypothétiquement meilleur… Meilleur, certes… mais meilleur que quoi ? Il est vrai que ce futur, dans lequel nous projetons tant, nous aspire comme je l’ai dit plus haut. Et pourtant, “l’ici et le maintenant” sont si doux.

Le futur n’est pas le monde meilleur. Le monde meilleur est ce présent que nous vivons. Ou alors il n’est pas. Gandhi nous invitait très justement à être ce futur que nous espérons. Focalisons-nous donc sur l’ici et le maintenant, ce localisme dans l’instant présent car, comme je l’ai précédemment évoqué, l’espace et le temps ne sont que des notions culturelles. Seul existent réellement le présent et le local, à vivre pleinement. Tout le reste n’est qu’illusion !

Pour cela, il y a bien des pratiques que sont la méditation, bien sûr, mais aussi la contemplation, la sophrologie, l’hypnose et l’autohypnose, la marche, la natation de plaisir. Toute pratique physique hors de toute notion de compétition et de performance répond à cette caractéristique. L’argument vaut pour les pratiques artistiques, comme la musique, le théâtre, l’écriture, la poésie, la peinture, le jardinage, la sculpture, la cuisine et le travail bien fait, etc. C’est en fait tout ce qui nous donne accès au “flow” dont nous parlait avec tant de précision le psychologue américain Mihaly Csikszentmihalyi dans son ouvrage “Vivre”… Il ne s’agit pas d’autre chose, mais cela nous ramène à l’essentiel.