C’est à cette heure-là que tu rentres ?
Comme dans le film de Claude Sautet les choses de la vie, la colère lui ressert instantanément le film de la journée de merde qu’il vient de passer et elle le surprend à jouer la goutte qui fait tout déborder : changer de pantalon en catastrophe après l’avoir taché en buvant son café ce matin, l’ampoule du rétroprojecteur qui rend l’âme en plein exposé, l’abruti qui lui pose la question de trop qui lui gâche la conclusion de sa présentation, sans parler, pressé de rentrer, de la frayeur due à cet inconscient de piéton, sortant de nulle part, qu’il a failli écraser sans les coups de volant et de frein violents…
Coup de grâce : cet assassin, c’est à cette heure-là culpabilisateur, en guise d’accueil !
Dis tout de suite que j’ai couché avec la voisine ! s’écrie-t-il, excédé, en donnant un grand coup de pied dans son sac de travail qui vole.
Sa femme fait un écart pour l’éviter, trébuche sur le meuble à chaussures et s’ouvre l’arcade sourcilière en heurtant la porte…
Abasourdis par la violence et la rapidité des gestes, ils restent là, pantois.
Scène de ménage extrait de l’univers de M6 ou scène d’outrage de la vie conjugale du monde banal, allez savoir ! Sans doute survoltés d’insatisfactions ou de frustrations entre ce qu’il faudrait et ce qui se fait, entre ce qui est espéré et ce qui est réalisé, dans toute la palette des faisabilités raisonnables ou pas. Selon les circonstances et leurs enchaînements, selon les amplitudes et les extrêmes, peu de place pour autre chose que la violence expiatoire, révoltée et surtout, indomptée, voire indomptable, quand la goutte fait déborder le vase.
Dans l’idée de vouloir traiter le problème de la violence familiale, ma scène de ménage ne veut que dissuader de vouloir traiter la goutte. Ce n’est pas elle le problème, mais plus largement l’enchaînement, ou plus précisément encore, tout ce qui a progressivement rempli le vase. Alors, immédiatement, on se doit de reprendre le fil de l’histoire et pour commencer, de bien identifier la petite graine qui ouvre les vannes. Celle qui produit la colère ou celle qui produit cette impulsion de puissance avec laquelle on veut prouver son invulnérabilité : la violence.
Même sous des formes sensiblement différentes, elles ont comme source unique la peur. Celle-là même, indispensable pour la survie, à tel point que la nature nous en a doté pour démarrer avec elle le processus d’alerte qui s’amplifie jusqu’à la douleur pour déclencher nos actes de préservation. Et si la peur peut s’appuyer sur une explication elle devient tristesse et pleurs de résignation, appelant la compassion. Et si la peur n’a pas de solution, elle se raccroche à la colère de l’insurrection pour se donner l’illusion de pourvoir faire quelque chose quand même : il donne un coup de pied dans son sac de travail ! Elle appelle, elle, à la décompression.
Cette identification qui déclenche la peur originelle, établit indirectement une échelle d’impact et ses manifestations proportionnelles de tristesse ou de colère, et pour ce qui nous intéresse plus particulièrement, la colère qui conduit à la violence jusqu’au meurtre. Les témoignages sont là pour les étayer.
En reprenant les choses de la journée de ce mari qui rentre tard, on déroule l’arbre des causes qui remplissent le vase. Traiter la violence sera donc, empêcher chaque déclenchement d’ouverture des vannes, chaque graine d’irritation qui produit le remplissage du vase. Fastidieux, une fois, sans doute ; laborieux, plusieurs fois, pour vérifier et ajuster, nécessaire ; répétable, maintes fois, parce que similaire, rassurant ; apprenant, toutes les fois, parce que modélisable et en nombre de causes finalement limité ; prévenant, chaque fois, parce que maîtrisé potentiellement, jusqu’à cet homme fort, c’est celui qui maîtrise sa colère !
Il n’y a pas d’autre solution puisque la petite graine qui la crée, nous est utile pour survivre. Comme beaucoup d’autres processus, c’est à nous à l’éduquer, à apprendre à s’en servir, après l’alerte. C’est pour cela que nous ne naissons pas finis !
La seule question qui vaille : où apprend-on cela à l’école ?
Séance de rattrapage pour les parents, fortement conseillée !
Ça n’est pas de la morale, c’est une matière avec ses vrais processus de transformation. Et pourquoi ne sait-on jamais donné la peine d’y consacrer de l’énergie ?
La culpabilité collective, c’est de ne pas avoir voulu y remédier, depuis que l’on sait.