Par Maxime De Blasi, ancien professeur de Génie Electrique et ancien élève de l’ENA

Lors de la rentrée le Président Macron a annoncé qu’il n’y aurait pas de début de carrière rémunéré à moins de 2000 euros par mois pour les enseignants. L’argument de la rémunération est évidemment essentiel pour comprendre la désaffection observée depuis une dizaine d’années dans les concours enseignants, et particulièrement au niveau du CAPES qui a vocation à recruter les professeurs certifiés de collège et de lycée. Sur ce point, les chiffres sont là : si un prof en début de carrière avait un salaire représentant 2,5 à 3 fois le SMIC au début des années 80, aujourd’hui il ne représente plus que 1,4 SMIC.

Cette forte dégradation, cette prolétarisation, dévalorise évidemment ce métier qui est un socle de nos sociétés puisqu’il vise la transmission des savoirs, de l’éducation et du vivre-ensemble. Comment demander aux jeunes générations de valoriser le travail et le savoir en lui donnant à voir des professeurs sous-payés ? En dévalorisant les professeurs on dévalorise le savoir, les règles de vie en commun inculquées en classe et partant, le système entier.

Mais cette dégradation n’est pas que pécuniaire. Car les ministres successifs depuis cinq ans ont également sapé les fondements du magistère et de l’autorité des enseignants dans leurs classes : dans les lycées le mot « examen » est devenu tabou car nous dit-on, il ne faut pas traumatiser les jeunes par des examens couperet de type baccalauréat. Alors tout a été mis en œuvre pour saper ce fondement du compromis républicain : les taux de réussite, proches de 95 % contre 75 % il y a seulement 20 ans, ont rendu illisible et vain tout discours sur le travail et l’investissement en classe et, par voie de conséquence, l’autorité des professeurs. Puisqu’il est donné à tout le monde, quel intérêt pour l’élève de s’investir et de jouer le jeu ? Il en va de même pour la course aux mentions, autrefois exceptionnelles mais qui ont suivi la même dévalorisation.

Pourtant, un taux de réussite de 75 à 80 % était idéal car il maintenait la pression sur les élèves et procurait de l’autorité et de la crédibilité au discours enseignant sur l’effort. Aujourd’hui, puisqu’on « rase gratis » au bac, il n’est presque plus possible pour un professeur de tenir un discours exigeant aux élèves, et son autorité ne peut qu’être questionnée par des élèves qui savent que « de toute manière j’aurai mon bac ».

Ceci alors que les ségrégations et différences s’accusent, derrière l’écran de fumée d’un discours égalitariste. Le nouveau ministre Pap Ndiyae est resté droit dans ses bottes quand il a été révélé que ses enfants sont scolarisés dans une prestigieuse et sélective école privée. Cette révélation qui encore récemment aurait logiquement conduit à une démission a été présenté par lui comme une banalité pour leur assurer une « scolarité sereine et heureuse ». Cela marque encore davantage la dévalorisation de l’école publique désormais acquise par ces élites dont les enfants trustent de manière croissante les filières sélectives et prestigieuses comme j’ai pu l’exposer dans le cas de l’ENA, et n’ont que faire alors de leurs propres discours sur la mixité ou le soi-disant traumatisme des examens. Alors qu’on a jamais autant parlé de mixité en France pour s’étonner qu’elle recule c’est l’hypocrisie du NIMBY (not in my backyard/chez vous mais pas chez moi) qui prévaut, le chacun-pour-soi, accompagné toutefois de larmes de crocodile sur la ghettoïsation des quartiers et la perte de considération des jeunes pour le savoir.

Ghettoïsation des quartiers encore accusée par la réforme du bac et l’introduction de 40 % de contrôle continu : s’il y a 30 ans j’ai pu accéder à un lycée parisien en venant d’un lycée d’Aubervilliers c’est bien car mon baccalauréat ne différait pas de celui obtenu par un élève d’un lycée parisien. Aujourd’hui, avec ce contrôle continu tout enseignant sait bien que ce n’est plus le cas, et une cote/décote implicite s’établit dans les commissions de sélection suivant les lycées de provenance, accusant encore la crise de sens du milieu éducatif. Et si on a également présenté ce contrôle continu pour éviter la fermeture anticipée des collèges et lycées en juin du fait des examens c’est ici encore un échec comme l’a montré la fermeture début juin de la plupart des établissements depuis deux ans.

Plus grave pour la méritocratie, l’enseignement technologique a été sapé alors qu’il représente le creuset de la promotion sociale depuis 50 ans. Dans son discours de rentrée tenu la semaine passée, Macron n’a évoqué que l’enseignement professionnel (bac pro), allègrement confondu par ces élites de formation purement littéraire avec l’enseignement technologique alors que ce dernier, par le biais des filières STG et STI, conduisant aux formations post-bac BTS et DUT, outre qu’il a donné à la France une présence forte dans les technologies de pointe et du quotidien, a permis des centaines de milliers de jeunes issus de banlieue ou des zones rurales d’accéder à des fonctions d’encadrement intermédiaire, et souvent d’ingénieurs , leur permettant une ascension sociale réelle bien que silencieuse, j’en suis témoin en tant qu’élève puis en tant qu’enseignant dans ces classes. Mais dans l’esprit binaire de ces élites littéraires et hors-sol il ne saurait y avoir que deux destins, l’usine ou l’Ecole Alsacienne.

Un mot enfin sur le corps enseignant dont, au-delà de la rémunération, les principes de gestion sont éculés : recruté avec l’agrégation je me suis étonné depuis le début des différences de temps de travail existant avec les enseignants recrutés avec le CAPES. Les premiers doivent en lycée 15 heures d’enseignement hebdomadaires, les seconds 18 heures. S’il est logique que la rémunération plus élevée (environ 30 %) des agrégés corresponde à leur niveau de recrutement plus élevé, face à des classes identiques leur temps de travail inférieur ne peut se justifier, puisqu’il est censément déterminé d’après la difficulté de préparation des cours. De même, des facteurs essentiels tels que le nombre de classes qu’a un professeur ne sont pas pris en compte alors que la multiplication des évaluations et des conseils de classe qu’entraine la multiplicité des classes pèse énormément sur les conditions de travail. Ainsi, à niveau équivalent (collège-lycée-postbac) les horaires de tous les enseignants, agrégés, certifiés ou autres, devraient être identiques et prendre en compte le nombre de classes.

Revalorisation pécuniaire certes, mais aussi, on le voit, revalorisation du sens du travail et de l’autorité des enseignants par la primauté affichée de l’examen et enfin revalorisation des filières réellement méritocratiques pour redonner son sens social au système.