Au moment où j’écris ces lignes, cela fait 13 jours que le Président de la République française, Emmanuel Macron, a dissous l’Assemblée nationale, à la stupéfaction générale. Cette décision, s’appuyant sur l’article 12 de la constitution (Article 12), stipule qu’elle doit se faire après consultation des présidents des deux chambres et du Premier ministre. Manifestement, M. Larcher, président du Sénat, a été mis devant le fait accompli par téléphone, tout comme le Premier ministre M. Attal et la Présidente de l’Assemblée nationale Mme Braun-Pivet. Cette dernière n’aurait eu aucune entrevue avec le chef de l’État si elle n’avait pas insisté.
Il y a la loi et l’esprit de la loi. Ici, la loi est respectée, mais l’esprit est ignoré, voire bafoué, compte tenu de l’attitude du chef de l’État. De plus, le décret peut être signé au moment où le chef de l’État le souhaite, ce qui lui donne toute latitude pour définir la date de l’élection. Là encore, il a choisi de le signer dans les heures suivant son discours, en prenant le délai le plus court (20 jours) pour la tenue du premier tour, alors que nous sortions à peine des élections européennes.
Pour ceux qui ne le savent pas, mener une campagne électorale est épuisant, surtout pour les candidats indépendants qui ne bénéficient pas du soutien d’un parti politique. À la fatigue s’ajoute le manque de financement, les ressources ayant été investies dans la campagne précédente. Nous avons donc des équipes épuisées à qui on demande de repartir immédiatement en campagne (Voir ici le dernier texte décrivant cette entrée en campagne). À la dernière élection législative de 2022, il y avait 6 293 candidats au premier tour. Cette fois-ci, en 2024, il y en a 4 011, car le délai et les circonstances ont éliminé d’office tous les indépendants et la plupart des candidats citoyens ; justement ceux qui manquent dans la représentativité nationale : ouvriers, employés, artisans et cadres du privé. Là encore, le choix est constitutionnel, mais la façon de l’appliquer est discutable, et je la discute.
Sachez d’abord que je n’aime pas les superlatifs qui dramatisent une situation et vident de leur sens les mots. Nous n’étions pas en guerre pendant la pandémie de Covid-19, mais faisions face à une situation sanitaire sérieuse. De même, en février 2022, lorsque la Russie a attaqué l’Ukraine, nous n’étions pas en guerre, mais confrontés à une situation géopolitique préoccupante et à un changement de paradigme dans l’organisation de la sécurité en Europe. Nous pourrions être en guerre si les choses dérapent… Les mots ont un sens, et il est important de les utiliser à bon escient, sans céder à la communication permanente. Sinon, notre discours devient illisible et surtout inaudible le jour où la situation est vraiment grave. Je vous invite à réécouter l’histoire du berger, d’Ésope, qui criait au loup à tort jusqu’au jour où le loup est arrivé et que personne ne l’a cru. Vous comprendrez que j’aime utiliser des mots appropriés pour décrire une situation.
Ce qui s’est passé le 9 juin est sans doute légal, mais représente néanmoins un coup de force institutionnel. Notre Président, expert en oxymores en communication, répète à qui veut l’entendre « qu’il en appelle au peuple », la main sur le cœur, tout en faisant tout son possible pour que le peuple n’ait pas voix au chapitre.
La Cinquième République est un outil que je ne considère pas mauvais. Un ustensile de cuisine peut servir à réaliser un plat digne de la quatrième étoile Michelin ou à assassiner une grand-mère innocente. C’est pourtant toujours le même outil, mais les intentions de celui qui l’utilise peuvent être grandes et enthousiasmantes ou noires et tristes.
À quand les hommes de bien ?
Jérôme Moreels
Co-fondateur du Cercle Sully